“Dans la tente de prospecteur dressée derrière la maison, à l’orée de la Massawippi, sous les pruches menacées par les haies de cèdres et les tondeuses à gazon, Guillaume peut déjà entendre les autos au loin. L’autoroute projetée passera à quelques kilomètres de la ferme. Couché sous la toile, pendant que les gens travaillent pour mettre du gaz dans leur char, il sait ce qu’il va faire de sa sabbatique : il racontera des histoires aux enfants. Il leur dira le nom de ses anciens élèves de Kuujjuaq, leur décrira les levers de lune sur la Koksoak. Koksoak ! Koksoak ! On dirait le cri du corbeau. Ainsi se nomme le fleuve qui traverse Kuujjuaq. C’est là que Guillaume a décroché son premier emploi de professeur. Il a enseigné aux Inuits, qui, après la quatrième année du primaire, sont obligés de choisir entre l’anglais et le français. D’abord, il a survolé un pays qu’il croyait aimer mais dont il ignorait tout. Ensuite, il a aperçu le village par le hublot, déposé comme un jouet d’enfant à travers la grisaille, le crachin et le roc. Puis il y a eu ces douze adolescents, capuchons sur la tête, qui le fixaient en silence. Ce n’est qu’après que sont venus les expéditions de chasse upriver, où le caribou se fait de plus en plus rare, et, au beau milieu de la nuit, le match de hockey le plus âprement disputé qu’il ait jamais vu. Guillaume comprend que, un jour pas si lointain, ses enfants reviendront en pleurs de la forêt, parce que les bulldozers seront juste derrière la tente. Il ne saura quoi leur dire. Il n’aura que le silence du Nord à leur offrir. Jean-François Létourneau signe ici un premier roman qui célèbre le Nord, ses paysages, les gens qui l’habitent, ainsi que cette vie que nous voudrions transmettre, intacte, dans toute sa splendeur, à celles et ceux qui viendront après nous.”–